« La civilisation n’est point chose sociale, mais psychologique ; et il n’en est qu’une qui soit vraie : celle des sentiments. » André Malraux
« Romantique comme un acteur porno qui ne quitte pas son alliance. » Klub des Loosers
A// Il sera question dans ce texte du destin de l’acte et du contrat de mariage comme preuve administrative de l’existence du couple marié, et de celui de la bague de mariage comme preuve personnelle de cette existence qui s’est réalisée par le biais d’un rituel social. Rituel social en parallèle duquel a été scellé l’acte de mariage impliquant la réalité administrative et légale. Le destin affectif, symbolique déterminé par la bague comme alliance, est scellé par l’acte de mariage et lors de l’union symbolisée par la cérémonie. Il faut donc lire ce destin en parallèle du destin de l’acte et du contrat de mariage. Ce que nous entendons par destin, c’est la dimension archétypale de ce qui construit la temporalité que sous-tend la symbolique du mariage. La durée de l’idée d’un affect : l’amour du couple marié. Durée structurée par des moments qui ne sont pas des impératifs, mais des possibilités induites par une vie réglée selon les normes et valeurs de l’institution du mariage : l’accouplement, la procréation, la famille, la rupture selon l’idée d’une fin de l’amour. L’amour du couple marié est symboliquement censé durer aussi longtemps que la bague reste une alliance décrétée et consentie durant la cérémonie de mariage. Cette durée symbolisée par l’alliance, est censée être attestée aussi longtemps que l’acte et le contrat de mariage est valable pour l’administration. Bien qu’elles semblent se référer à une même temporalité, celle de la durée du mariage, ces trois réalités ne sont pas de même nature. La bague n’est pas un contrat et l’acte et le contrat ne sont pas une bague. Mais ils signifient tous les trois l’union par alliance.
L’alliance, l’acte et le contrat « signifient ». Mais peut-on dire qu’ils sont des « symboles » de même nature ? Le symbole est un signe. On peut parler de « symbole » et de « signe » mathématique. Tous les symboles sont des signes pour qui sait les décrypter, mais tous les signes ne sont pas des symboles. Les nuages qui couvrent le ciel sont signes de la possibilité qu’il pleuve, mais ils ne sont pas des symboles. Alors où est la différence ? « Symbole » désigne pour nous un « signe » qui doit être incarné par des affects en transitant par une forme conventionnelle, ce qui est le cas de la bague comme alliance, mais pas de l’acte de mariage qui est juste une preuve écrite, n’impliquant pas d’être affectée par la subjectivité des mariés. Sa valeur n’est normalement pas là, l’acte n’a que valeur de preuve écrite, il ne symbolise pas, il constate un fait.La bague comme alliance symbolise l’amour du couple comme idée et comme possibilité de l’incarnation de cette idée par un affect. C’est-à-dire personnification de l’idée représentée par la bague comme alliance. L’acte et le contrat n’exigent pas cette personnification pour être valides, pour faire signe vers la validité du mariage. Personnification du symbole signifie reconnaissance du destin affectif d’un individu ou du couple dans le symbole, et surtout validité du symbole au nom de ce destin affectif. On pourrait dire en abusant du terme, que la réalité « ontologique » de l’acte de mariage n’est pas la même que celle de la bague comme alliance, et ce bien que ces deux réalités désignent une même temporalité. Tout comme la réalité « ontologique » de la physique des particules n’est pas la même que celle des mathématiques qui sont pourtant nécessaires à la signification et la vérification des données d’un cadre d’expérimentation de la physique des particules.
La bague est un objet personnel, l’acte et le contrat sont des objets impersonnels. La bague appartient essentiellement au couple, elle est un objet privé. L’acte et le contrat de mariage appartiennent autant au couple qu’à l’administration publique. Mais ils ont avant tout une réalité administrative. La bague a une réalité personnelle, socioculturelle, voire cultuelle et marchande, mais ce qui prime dans la valeur de la bague comme symbole de l’alliance, c’est la réalité personnelle et socioculturelle. Il y a cependant une impersonnalité de la bague, quelque chose qui se détermine hors du destin affectif dans l’intersubjectivité du couple ou dans la subjectivité de l’individu isolé.
Comme l’expérience la plus ordinaire nous le dit, la réalité affective qui détermine le destin personnel n’est pas permanente. La bague comme alliance peut ne plus rien représenter pour le couple sans que pour autant le contrat et l’acte aient été administrativement rompus. La bague comme alliance peut voir sa signification symbolique altérée pour le couple, car l’amour n’est plus ou est moins. L’amour, comme toute réalité affective, n’est pas constant. Il se peut même que le mariage n’ait été qu’un mariage de raison. Mais les valeurs les plus ordinaires savent ce que le mariage de raison pose comme problème moral à l’état actuel de l’idéologie sous-jacente à l’institution du mariage. Cette idéologie a en France une origine chrétienne et donne la « sainteté » de l’amour comme raison souhaitable du mariage. Ainsi, même de manière impersonnelle, c’est-à-dire comme idée, la bague comme alliance est une forme symbolique ramenant à l’amour.
Cet impersonnel ou plutôt interpersonnel qui ramène à l’amour, c’est la cérémonie, le rituel social qui lie l’alliance à la bague et investit ainsi la bague d’une symbolique au-delà des affects du couple. Le symbolique qu’est l’alliance liée à la bague a donc une valeur non affective, une valeur idéelle ou idéologique construite par les conventions d’une communauté hiérarchisée. Le symbole n’est pas une création arbitraire du couple, c’est le rituel social qui en décide au nom d’une idéologie ou d’une croyance instituée. Cependant, hors des conditions socioculturelles produisant la symbolique, ce qui fait la relation entre ce que représente la bague symboliquement, l’alliance et la réalité du couple, c’est l’affect, l’amour. L’idéalité qui fait symbole doit être une croyance partagée par le couple, une croyance réalisée dans l’affect. L’incarnation de l’affect dans le symbolique, produit par la liaison de l’alliance et de la bague, est instituée par la société ; la raison du mariage réalisée durant la cérémonie est idéalement dans l’effectivité de l’amour.
Cela ressemble à une problématique théologique. Quelque chose qui vient d’un au-delà du couple se manifeste dans la bague au nom de la croyance socioculturelle et de l’affect du couple. Le moment qui a investi la bague de cette manifestation est le rituel institutionnel qui en a fait une alliance.
Il faut voir l’amour comme un dieu personnalisé, une idée qui, lorsqu’elle se traduit en affect, devient une valeur. Le mariage chrétien traditionnel n’est pas qu’une autorisation à forniquer, mais plutôt une espèce de tentative de meurtre de l’amour passionnel, charnel, un meurtre de l’amour comme pulsion par l’amour spirituel, l’amour au nom de l’ordre divin. La fornication se doit d’être sublimée par l’amour pour être un acte dans lequel se manifeste l’amour. Dans le respect mutuel de la personne, « on fait l’amour », on ne fornique pas. L’esprit qui fait la vie des sentiments prime sur la décharge pulsionnelle dans l’intérêt du couple, aux yeux des impératifs de « sainteté » ou de respect de la personne. La fornication, sans amour, peut sembler un non intérêt pour la personne, juste un moyen de décharge de la pulsion sexuelle. Il y a par le biais de ces idées du rôle de l’amour dans la sexualité du couple une continuité entre l’idéologie du mariage religieux et celle du mariage civil. Cette continuité pourrait se comprendre comme un mouvement de sécularisation de l’approbation, ou une sécularisation de la reconnaissance de l’union du couple par la société et les institutions qui sont passées d’une réalité chrétienne à une réalité républicaine. Séparation de l’Eglise et de l’Etat qui signe la fin de la gestion sociale d’une idéologisation de la totalité existentielle par l’Eglise et Dieu. L’amour n’a plus besoin de l’approbation divine et la cérémonie religieuse n’est plus un impératif moral dicté par une idéologie étatique, mais juste une possibilité légale. L’union par l’alliance décidée lors de la cérémonie et la remise de la bague n’est pour la chose publique plus qu’une option de vie de couple parmi d’autres, elle ne dévalorise en rien les autres formes de vie amoureuse. L’amour charnel sans approbation socioculturelle transitant par la cérémonie de mariage n’est plus fornication. Mais dans le vocabulaire ordinaire, on continue à parler de « faire l’amour » et de « plan cul ». Malgré le fait qu’il n’y ait plus une forme de diktat qui rende illégale ou contre nature ce qui se fait en dehors du dessein divin, c’est-à-dire les formes de vie de couple hors du mariage, l’amour semble rester une valeur, là où l’accouplement sans amour semble dénué de sens et renvoyer à un acte qui ne considère pas assez la personne. L’idée que le couple ne tient pas par une pure pulsion sexuelle et affective mais par l’idéalité de l’amour se maintient au-delà même du symbole de l’alliance. Le couple normé se doit de durer au-delà de l’accouplement ou de la constance affective, sans que pour autant on puisse parler d’impératif institutionnel. Cette durée au-delà de l’accouplement fait la vie de couple, elle peut s’organiser en vue de la constitution d’une famille. Les institutions ouvrent des droits à la structure familiale, cependant l’évolution du droit familial républicain français a contrario des impératifs du mariage chrétien patriarcal, norme la structure monoparentale en lui ouvrant des droits spécifiques, une couverture sociale adaptée.
Le symbole de l’alliance, lui, s’est sécularisé, est devenu plus socioculturel que cultuel. Dans ce texte, ce symbole ne sera donc considéré que du point de vue de la laïcité. Sa dimension cultuelle étant théoriquement d’ordre privé, c’est-à-dire « subjective ». Aux yeux du cadre légal, l’amour ou son absence ne regarde que le couple décidant de faire vie de couple, et il ne s’agit plus du côté du cultuel d’une question de droit et de loi, mais d’une question de foi.
Ce qui n’enlève rien à la « sainteté » des valeurs de l’amour pour l’intuition la plus ordinaire, même « athée ». Cependant cette « sainteté » qu’est l’amour, est-elle juste le lègue d’une tradition chrétienne où se mêlent idéalité de l’amour et vie sexuelle du couple ? Autrement dit, ce « sacré » symbolisé par la bague comme alliance n’est-il qu’une fausse conscience produit d’une idéologie multiséculaire maintenue dans les formalités administratives, là où nous ne devrions voir qu’attirance sexuelle et affective réalisée dans le choix ou non d’une vie de couple, d’une « union libre » ?
L’alliance, en étant l’idée de la vie du couple, symbolise l’amour qui unit le couple. La bague comme alliance en incarnant cette idée, en restant sur le doigt, rappelle à la conscience du couple le sens du symbole. En principe, le couple a choisi la bague comme alliance sur la base d’une croyance en la réalité désignée par le symbole. Ses choix futurs, s’ils sont en contradiction avec le choix de départ, l’instabilité affective si elle a lieu, sont à lire à partir du destin dessiné par l’alliance, c’est-à-dire à partir d’un destin prenant place dans une téléologie incarnée par la bague comme alliance. On se marie par amour, on trahit l’amour et la promesse de vie commune au nom de l’amour, on se sépare en vidant ou altérant le sens de la bague comme alliance. La bague comme alliance sera normalement enlevée après la rupture, ou ne signifiera plus ce qu’elle était censée signifier : la promesse d’une vie d’amour pour le couple. Cette promesse se doit de durer jusqu’à ce que la mort sépare le couple, si cela se fait au nom de la chrétienté.
L’amour du couple n’est pas proprement dit dans la bague. L’alliance non plus. La bague catalyse et révèle au regard affecté par l’amour et institué par l’alliance, la réalité désignée par le symbole. La bague capture l’affect car elle symbolise l’alliance, l’union. Union qui a eu lieu lors d’une cérémonie passée, entre deux personnes théoriquement amoureuses.
Que devient donc l’amour déchu lorsque la bague comme alliance reste malgré tout un objet présent pour le couple ?
L’amour devient un fantôme, un esprit, une idée, une émotion passée qui revient hanter la conscience lorsque la bague est de nouveau considérée par le regard d’un des membres du couple uni par l’alliance.
On peut évidemment totalement déconsidérer la bague ou la perdre, sans que pour autant cela soit le signe d’une perte de l’amour.
Mais l’alliance qu’est la bague pour le couple, tout comme l’acte et le contrat, sont des signes de la réalité de l’union d’un point de vue social et institutionnel. L’idéologie chrétienne qui institue l’alliance dira que la principale valeur qui commande cette union, c’est l’amour. L’amour du couple. La désunion, la fin de l’amour, trahit l’affect idéologisé à l’origine du contrat et de l’alliance, sans pour autant attester la fin du contrat et la fin du symbolique de l’alliance incarné dans la bague.
L’alliance incarnée matériellement par la bague concentre, en elle, ce destin social et personnel/privé du couple. Elle se doit de rester stable par la grâce de la bague sur le doigt. Elle se doit de le rester au nom de l’union sociale, institutionnelle et affective. Alors que le contrat et l’acte de mariage ont juste à être rangés quelque part, pour à un moment faire preuve de la validité du mariage ou être annulés par l’application de certains critères du cadre légal. Mais leur temporalité est commune, comme écrit plus haut, c’est la durée du mariage qui a été scellée lors d’une cérémonie ayant pour point d’orgue le rituel de la remise de la bague comme alliance. Les mots qui auront été prononcés à ce moment-là par les acteurs du rituel ne seront plus, mais la bague comme alliance maintient le souvenir et la valeur de ce qui a été dit. Ce maintien semble se faire dans la bague de manière symbolique (l’institution sociale qui créé la valeur de l’alliance) et d’une manière plus aléatoire dans l’affect (la subjectivité amoureuse). Le changement de nom pouvait s’adjoindre à ces « marqueurs de l’alliance », avant que le droit républicain français ne permette aux mariées de garder leur nom de jeune fille.
Dans notre problématique le cadre légal est signe, tout en gardant en vue l’aspect symbolique du mariage, d’une stabilité institutionnelle qui fait face à l’instabilité des affects incarnés dans la bague considérée du point de vue personnel/privé. L’histoire institutionnelle est en principe plus stable que l’histoire personnelle. Elle est le ciment de la cohésion sociale travaillée par des politiques publiques encadrées par la loi.
(La version complète de l’article est disponible dans la version papier de la revue Artctuel)